Bordures berrichonnes
Effleurer le Massif central
En pénétrant le Massif central par le Nord-Ouest, les comédiens du siècle des Lumières profitent d’un roulage confortable à travers les paysages de bocage du Berry. Entre prairies rythmées par les parcelles délimitées par les haies vives et à travers forêts de hêtre et de houx, les plus sensibles aux nouvelles aspirations du voyage apprécient peut-être le passage de la vallée de l’Indre et du val de Creuse. Certains ne poussent sans doute jamais leur route au-delà, tant, les premières Combrailles et au-delà, le plateau de Millevaches, n’encouragent guère les tournées. Les comédiens de campagne préfèrent alors orienter leur itinérance au confluent de la Nièvre et de la Loire et jusqu’en Bourbonnais et Limagnes. Beaumesnil ne s’y trompe pas au moment de tourner en marge du Massif en 1770. Depuis Bourges, il gagne Limoges en effleurant le Massif, passant par La Charité, Nevers, Moulins, Montluçon puis Guéret et avant de faire un détour par Tulle. L’une des grandes routes comiques du centre du royaume flirte avec cette bordure berrichonne du Massif central, ralliant Saintes à Châlon. Depuis Bourges, pour les plus aventureux, il est possible de rejoindre la Drôme provençal en traversant littéralement les montagnes du centre, via Clermont-Ferrand et Le Puy-en-Velay, ou bien à travers les monts du Forez.
Circuler entre Cher et Bourbonnais
Il n’y aucun doute sur le fait que Limagnes et Bourbonnais regardent naturellement vers la Nièvre et le Berry et que le Massif s’ouvre, là, en direction du bassin parisien. Pour les directeurs de troupes obligés de jouer leurs deniers personnels, comme aujourd’hui bien souvent encore, voyages rapides et bonnes conditions de représentation sont autant de garanties appréciables et nécessaires aux succès de leurs entreprises. En 1800, Féréol promet ainsi une tournée l’emmenant alternativement à Châteauroux, Bourges et Montluçon ; son confrère Brisse vise lui aussi le Bourbonnais mais en privilégiant au préalable La Châtre, au départ de Guéret. Cette tendance est bientôt consacrée par Napoléon qui, en 1806, au moment de tracer la carte organisant officiellement la vie théâtrale à travers l’empire, réunit dans un même arrondissement la Creuse, l’Indre, le Cher, la Nièvre, l’Allier et même la Loire, appendice complètement excentrée – au grand dam des nouveaux directeurs habilités à sillonner cette immense région de théâtre !
Le Centre et l’Auvergne réliés !
La masse montagneuse du Massif pose longtemps un problème aux administrateurs des ministères à l’heure de découper le territoire en arrondissements. Il est alors tentant, et les directeurs de troupes les y encouragent, à connecter les départements auvergnats à ceux courant au-delà du Bourbonnais, afin d’éviter aux artistes les périlleuses traversées du Vivarais, de la Margeride ou de Cézallier. Ainsi Bourges et Châteauroux sont-elles tour à tour associées ou exclues des tournées s’orientant au pied des puys et jusque dans le Velay. En 1824, le choix est définitivement fait de relier Nièvre et Cher aux départements auvergnats et à la Loire. Une circulation privilégiée des artistes brevetés s’organisent alors durablement, près d’un demi-siècle durant entre les salles de spectacle de Bourges, Saint-Amand, Nevers, Montluçon, Moulins et Clermont-Ferrand. Entre cette bordure berrichonne du Massif central théâtral et le val de Loire, Indre et Creuse se retrouvent dans un entre-deux peu avantageux. À l’écart de la nouvelle géographie théâtrale officielle en vigueur près d’un demi-siècle durant, entre 1816 et 1864, la vie théâtrale a du mal à se déployer entre Guéret et Châteauroux et ils sont plusieurs à renoncer à leur venue en Champagne berrichonne comme Vérité ou Koelmann au cours des années 1840.
Impossible à durablement relier au Massif central, la bordure berrichonne voit sa vie théâtrale enfin se développer à la faveur de la libéralisation du secteur en 1864 et grâce au développement du rail. Le déploiement d’un important réseau ferré entre 1870 et 1890 entre Bourges, Nevers, Montluçon, Moulins et Guéret, sans oublier les stations thermales attractives de Néris-les-Bains ou de Bourbon-L’Archambault, permet aux impresarios et directeurs de troupes d’imaginer de nouvelles étapes de tournées auxquelles ils ne se seraient pas risqués deux ou trois décennies auparavant. Ainsi cette bordure berrichonne, tantôt reliée et tantôt reléguée au fil du siècle, parvient elle enfin à exister durablement, entre Massif auvergnat et grand bassin parisien.