Clermont-Ferrand

1759, ça commence la Comédie !

C’est cette année-là que Clermont-Ferrand inaugure sa première salle de spectacle. La théâtromanie s’invite dans le Massif central ! Elle est aménagée dans les murs de l’Hôtel-de-Ville construit sous l’intendant d’Auvergne Ballainvilliers. Inspiré de l’Opéra-Comique de Monnet à la Foire Saint-Laurent, le théâtre est établi sur des plans de l’ingénieur Dijon. La salle est de forme allongée et ovale. L’orchestre est séparé du parterre, debout, par une cloison de bois surmontée de piques de fer. Un amphithéâtre garni de quatre rangées de banquettes occupe le fonds de la salle, entouré des premières loges ; un escalier conduit aux secondes, placées en encorbellement. Les spectateurs ont le plaisir de s’installer sous le plafond peint par Berinzago et décoré des attributs de Thalie et Melpomène, les muses de la comédie et de la tragédie. La salle est ouverte durant un demi-siècle aux troupes professionnelles ; peu-après l’ouverture du nouveau théâtre de la butte clermontoise en 1806, elle accueillera un temps encore quelques spectacles de curiosités ; et partagera leur programmation en 1810-1811 avec l’église de l’Oratoire.

Un grand Théâtre de style Empire

Après plusieurs projets manqués pendant la décennie révolutionnaire, notamment dans l’église des Carmes, c’est finalement sur la place Derrière-Clermont, actuelle place de la Victoire, dans les anciens jardins de l’évêché, qu’est inauguré en 1807 un nouveau théâtre. De style Empire, marqué par l’inspiration antique et ordonné de manière symétrique, il se dresse face au portail sud de la cathédrale Notre-Dame. Antoine Delval, architecte de la ville, en signe les premiers plans dès 1799, modifiés en 1807 par Pierre Rousseau. L’entrée se fait côté sud, les spectateurs peuvent profiter d’un foyer et des boutiques sont installées en rez-de-chaussée. Les représentations se déroulent les quatre premières années dans un lieu en chantier, les travaux se prolongeant en effet jusqu’en 1811. Trop grande et installée sur un élévatoire nommé place des quatre vents, voisinant avec un château d’eau, la salle clermontoise est une vraie glacière, certains comédiens y risquant même leur santé. Elle peut accueillir entre 600 et 830 spectateurs entre 1807 et 1830 avant que sa jauge ne soit ramenée à 709 en 1849. L’usage intense de la salle oblige la ville à un entretien régulier. Malgré l’intervention de l’architecte local Imbert en 1837, il faut attendre 1848 et une nouvelle large réhabilitation intérieure pour découvrir une salle au goût du jour et aux normes sécuritaires. À la fin du Second Empire, celle-ci donne à nouveau des signes de faiblesse. Au début de la IIIe République, la Comédie est exigüe et inconfortable, son hygiène est douteuse. Fissures dans les murs, fuites multiples, boiseries vermoulues, cage de scène obsolète : le tableau est sinistre. Une seule solution : un nouveau théâtre, et vite !

Du Théâtre provisoire à l’Eden-Concert Théâtre

Faute d’arriver à définir un projet immédiatement viable, la municipalité clermontoise est obligée d’opter à l’automne 1883 pour un théâtre provisoire sur la place Chapelle-de-Jaude. Sa distribution intérieure n’est guère originale : un parterre, un amphithéâtre, une rangée de baignoires et des loges en galeries. Équipé d’un millier de fauteuils, éclairé au gaz, le théâtre dispose des espaces de sociabilité communs et conformes aux constructions de son époque, un foyer et un café. Son accès boueux les jours de pluie, le froid y régnant et la mauvaise visibilité depuis les secondes galeries suscitent très rapidement de vives critiques. Sa décrépitude accélérée et sa gestion chaotique rendent le quotidien de son directeur impossible et lui coûte sa place au bout de trois saisons. Sa gestion locative change de main et la municipalité la reprend pleinement sur la programmation, en imposant ses choix des artistes accueillis. Le théâtre provisoire est détruit en 1890 et laisse place au Théâtre Casino des Variétés. Dès 1891, celui-ci est remplacé par l’Éden-Concert Théâtre. Doté d’une belle façade mauresque, il accueille chansonniers, équilibristes, prestidigitateurs et montreurs de pièces mécaniques. Des séances de cinéma y sont proposées dès 1896 et permettent de renouveler son activité avant d’en être l’objet unique : la salle devient le Familia-Cinéma en 1913… et bien plus tardivement le Paris. L’activité très provisoire de spectacle vivant s’est muée en une offre permanente de divertissement tout au long du XXe siècle !

Un nouvel écrin place de Jaude

Place de Jaude, 1894. C’est là, dans le nouveau cœur névralgique de la capitale auvergnate ouvert à la circulation automobile et au tramway (première ligne électrifiée inaugurée en 1890), qu’un édifice monumental est élevé. Le nouveau théâtre clermontois s’impose dans l’espace urbain comme l’expression de la société du spectacle de la Belle Époque, que le bâtiment moderne des Galeries de Jaude viendra compléter en 1906. La place de Jaude, vaste et aérée, facilement accessible, permet de consacrer le rituel bourgeois de la sortie au spectacle. À l’initiative de la municipalité d’Amédée Gasquet, le grand théâtre est construit en lieu et place de l’ancienne halle aux toiles (établie en 1816 et réhaussée en 1855) sur des plans de Jean Teillard, l’architecte de la ville. La façade est décorée par le sculpteur Henri Gourgouillon, professeur de dessin et de modelage à l’école départementale d’Architecture de Volvic et à l’école des Arts et Métiers de Clermont-Ferrand (à qui l’on doit aussi l’église Saint-Pierre-des-Minimes et le Monument des croisades surmonté de la statue d’Urbain II, place de la Victoire). Débuté en 1891, le chantier s’achève en 1894, pour le grand bonheur du public auvergnat.