Marges limousines
Jouer en marge du Massif central
Bien que située sur ses contreforts occidentaux, Limoges tourne largement le dos au Massif central. La Vienne qui la traverse la relie naturellement au bassin versant de la Loire et l’encourage à regarder vers les Charentes et le pays ligérien. Alors même que la capitale limousine teste ses premières salles de concert et de spectacles entre 1743 et 1775, l’absence de théâtres en terres corrézienne, creusoise et bourbonnaise dans la seconde moitié du XVIIIe siècle l’isole résolument. Limoges se trouve résolument à la périphérie théâtrale du Massif central des Lumières. La principale route comique la desservant la relie à Cognac, Angoulême et Saintes à l’Ouest, à Saint-Léonard, Bourganeuf, Guéret et jusqu’à Autun et Châlons à l’Est. La première fois que le comédien Beaumesnil apparaît sur scène à Limoges, c’est en 1747, et il se produit cette année-là également à Poitiers, Cognac, Angoulême, La Rochelle, Périgueux… puis à Aubusson et Clermont-Ferrand, villes les plus éloignées d’une circulation largement ancrée entre Limousin et Atlantique. Plusieurs de ces tournées ultérieures en 1763 et 1770 indique une mobilité professionnelle des comédiens en marge du Massif central.
Regarder vers Poitiers, Angoulême et Périgueux
La vie théâtrale limousine verse aux bassins hydrographiques du plateau des Millevaches dès lors que les premières salles de spectacles sont inaugurées à Brive, Tulle et Guéret en Révolution, dès 1793-1794. Entre la fin du Directoire et le Consulat, une première circulation émerge sur les marges limousines. La troupe de Limoges vient ainsi parfois se produire sur le théâtre de Tulle ; parfois, seulement, car le département reste excentré par rapport à la zone de circulation et d’influence naturelle des troupes limougeaudes. En 1803, les édiles de Limoges encouragent Hébert, directeur du théâtre local, à organiser ses tournées prioritairement entre leur ville, Guéret, Angoulême et Périgueux. En 1806, la nouvelle géographie théâtrale napoléonienne impose aux villes de l’Ouest du Massif central de regarder vers l’Atlantique et de ne pas contrarier ainsi leur inclination naturelle. La Corrèze et la Haute-Vienne sont alors réunies à la Charente et à la Dordogne dans le 9e arrondissement théâtral impérial et les comédiens habilités obligés de se produire sur leurs scènes. Très rapidement pourtant, les directeurs limougeauds, à l’instar de Beauval, privilégient les tournées entre Poitiers et Angoulême et délaissent volontiers Tulle ou Brive, où les recettes espérées ne sont jamais atteintes.
Faire du théâtre entre terre et mer
Au lendemain d’une décennie impériale passée en périphérie du Massif central, Limoges est résolument encouragée à regarder à l’Ouest. Associée à la Charente et à la Dordogne, la Haute-Vienne tente de s’inventer un quotidien théâtral cohérent à l’extrémité du bassin aquitain, tandis que la Corrèze et la Creuse sont, elles, un temps, rejetés en dehors de la géographie officielle des spectacles, en n’étant rattachés à aucun arrondissement théâtral entre 1816 et 1824. De 1824 à 1864, Limoges est l’une des villes incontournables d’un 13e arrondissement qui s’étend désormais jusqu’à Poitiers au Nord et Tulle au Sud-Est. Les troupes limougeaudes se contentent d’effleurer le Massif en tournée et ne se rendent qu’à de rares occasions en Corrèze finalement. Limoges est une étape incontournable des tournées organisées dans cet Ouest-là, aux côtés d’Angoulême, Périgueux puis Cognac, par ordre d’importance. Mais la desserte des villes de théâtre de ces marges limousines demeure irrégulière et l’activité est moins régulière dans les villes secondaires, à Bergerac, Montignac, Brive, Châtellerault ou Loudun. Cette activité incomplète observée dans les marges limousines encourage parfois certains entrepreneurs extérieurs à offrir leurs services, tels Duhamel de La Rochelle en 1843 ou Rivière-Boissac de Châteauroux. Ainsi se développe une aire théâtrale périphérique, entre terre et mer, campée entre Limousin et pays charentais.
Renouveler les saisons théâtrales
La disparition du privilège théâtral met fin aux itinéraires contraints et laisse donc libres les entrepreneurs d’établir des tournées reliant Limoges, Brive ou Tulle aux autres villes du Massif central ou de ses périphéries immédiates. Les marges limousines jouissent d’un intérêt renouvelé des directeurs de troupes de théâtre et des imprésarios. La très forte croissance urbaine de Limoges, tirée par une activité porcelainière à son apogée entre 1850 et 1930, fait espérer de nouveaux publics. L’excellente connexion de la ville et de la région au réseau ferré national assure un accès facilité aux artistes. Il faudra pourtant attendre pour certains l’extrême fin du siècle pour voir toutefois leurs conditions d’accueil évoluer radicalement, Brive ou Tulle attendant respectivement 1890 et 1903 pour être dotées d’équipements parfaitement modernes. À l’heure de la dérégulation culturelle, certains directeurs font le pari d’exister aux marges du Massif central en misant sur une activité à cheval sur plusieurs théâtres. Ainsi Bellanger, directeur des théâtres de Périgueux et de Brive, propose en 1896 une saison d’hiver aux Aurillacois. Il faut alors redoubler d’initiatives et viser les subventions municipales distribuées ici ou là pour espérer, parfois, réussir sa saison.